Vous pensiez que le plus grand danger à votre porte fut ce terrorisme islamique rampant, les loups en liberté dans les forets, ou encore ce nouveau voisin un peu basané aux coutumes étranges ? Vous vous trompez . Une armée sans rangs, sans chef, sans mot d’ordre mais unie par ce même rêve morbide, oeuvre chaque jour sans que vous le sachiez pour niquer la planète. Nous avons rencontré l’un d’eux, portait :
« C’est désepérant, le ciel est pur »
Gilles Bilabong scrute le ciel, les yeux plissés par la forte lumière irradiant sa pupille sous ce lourd soleil de juin. Il semble préoccupé. « Pas un nuage, pas une particule. Regardez au fond, on voit les alpes, c’est désespérant, le ciel est pur. »
Derrière nous travaillent à plein régime une trentaine de carburateurs récupérés dans la décharge automobile du coin. « J’ai tendance à chercher les vieux modèles, ceux qui puent bien. Les diesels c’est nocif, mais soyons honnêtes, un bon vieux moteur de mustang ça reste quand même le sésame ».
Nous lui demandons pourquoi il s’acharne à faire autant de fumée dans ce magnifique massif de l’Auvergne. Il nous répond simplement « C’est pour niquer la planête ».
« L’enfer c’est les autres »
Gilles nous fait rentrer dans sa grande maison, la porte était déjà grande ouverte, ainsi que les fenêtres. La chaleur suffocante des radiateurs montés au maximum nous fait reculer d’un pas « Tenez, mettez ça, après on s’habitue ». Il nous tend une djellaba confort semblable à la sienne et nous le suivons dans la cuisine. Deux congélateurs ouverts font face à la table, il nous invite à nous installer sur des chaises disposées pour nous.
« J’imagine que vous voulez savoir pourquoi je veux niquer la planête ? Je vais vous répondre simplement ». Il marque une pause, se penche légèrement vers nous les yeux brillants et durs de l’homme qui en a trop vu et qui a du tout ravaler : « L’enfer c’est les autres » il se redresse, se prend une rasade de rouge et ajoute « C’est pas de moi, mais de Jean-Pierre Sartrouville ».
« J’étais pas comme ça avant »
Après un long silence à contempler son installation lumineuse parcourant toutes les pièces de sa maison, et nous avoir lancé goguenard « Je l’ai pas débranché depuis noël ! », nous décidons d’en savoir plus sur ce qui a pu le pousser à une telle consommation d’énergie.
Il se renfrogne, le dos courbé et les bras sous la table, comme un gros bébé devant son plat de soupe et nous raconte, les yeux dans le vide, à chercher d’extirper quelque souvenir douloureux:
« J’étais pas comme ça avant. Je vivais à Paris, j’étais un garçon engagé, j’avais de quoi vivre humblement. J’étais beau gosse aussi, je me tirais un sacré tas de fille, j’étais le meilleur jongleur de bolas de belleville, ça aidait. Je participais tous les weekend aux travaux de mon collectif de quartier, j’étais respecté, venais au secours de tous. »
« Tout le monde s’en tapait du développement durable, de la justice sociale. »
« Puis les années passèrent. Les prix flambaient, Paris devint de plus en plus guindé. Moi qui n’avait, en bon écolo anti matérialiste, pas de vêtement dignes d’être remarqués, moi qui ne buvait que dans les PMU ou sur les marches du sacré coeur, je me retrouvais isolé. La plupart de mes potes s’étaient rangés, bossaient, avaient fait des mômes. Moi, j’étais un peu bloqué, je devais m’occuper de ma mère souffrante. »
« Petit à petit, je voyais que je ne plaisais plus aux filles. Je n’avais plus de discussion, tout tombait à côté. J’ai commencé à trouver du boulot dans le marketing, j’étais pas mauvais, mais ça me dégoutait. J’étais jugé, jaugé, en permanence. Tout le monde respirait la gagne, moi je respirais la défaite. Tout le monde s’en tapait du développement durable, de la justice sociale. Je naviguais au milieu de mannequins, de mec calibrés et livrés en package avec leur montre, veste et chaussures en suidine bleues. »
Matt Pokora
Un jour ma mère mourut. Pour me réconforter, mes collègues de boulot m’invitèrent à une surprise partie. J’étais touché, je me disais que peut être, le monde avait changé, que les gens avaient de bonnes intentions, que je m’étais construit dans une autre réalité et que ma vie était juste en train de prendre un nouvel envol. »
« Cette idée me passa vite. C’est vers minuit que je vis tout le monde autour de l’écran géant connecté à youtube Live. Je lisais les commentaires dans une ambiance d’hilarité assourdissante : 506 372 personnes étaient en train de se payer ma tête. J’étais en fait l’invité d’un diner de con et filmé depuis le début. Ce fameux diner était, pour tout arranger, publié sur le compte de Mat Pokora, quand il était au top de sa fame. »
Je m’urinai dessus. Les gens riais de plus belle, et la lumière blanche du portable de Matt filmait l’auréole jaune qui grandissait sur mon pantalon. Fou de rage, je me dé-sapais, et continuai à uriner sur les mannequins, les pseudos écrivains, les directeurs artistiques, les starteupeurs joueurs de molki. Je me mis à foutre le feu au rideau avec mon zipo, la police arriva, je fis 3 semaines au trou. »
« Vous pouvez tous crever »
« Sorti de taule, je vendis mon deux pièce et acheta cette maison. Depuis je n’ai plus qu’une envie : que tout le monde crève. Pas 20 personnes sous une salve de Kalash, pas 2000 personnes défoncées par un avion dans une tour, mais bien l’humanité toute entière. J’ai tenté de donner un sens à ma vie, tenté l’aventure collective, pensant que la bonté pouvait devenir virale, je n’ai vu que des enfants/adultes capricieux, dépourvus d’âme et gavés de narcissisme et gadget.
Cette humanité arrive à sa fin. Seulement avec l’accord de Paris, j’ai l’impression que cette fin inéluctable arrivera dans trop longtemps. Je veux au moins pouvoir me satisfaire d’une chose avant de crever : voir cela arriver de mon vivant. Vous pouvez tous crever »
Avant de partir Gilles tente de nous rassurer, et avec un petit sourire enfantin, nous montre son portable « Mais j’ai des copains maintenant. Je les ai trouvé sur facebook. On a chacun un compteur carbone et on fait des concours à celui qui en crachera le plus! »